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CINÉMA CINÉMA
En parcourant le programme, j’ai observé qu’une presque dizaine de films avaient pour objet le cinéma : notre film, un film particulier, notes pour un film pour les titres les plus parlants. Je me suis demandé si le cinéma latino-américain contemporain surfait sur la vague actuelle du cinéma réflexif et si les cinéastes se contemplaient le nombril. Alors j’ai regardé les films.
J’ai été frappée, et séduite, par un parti pris quasi général : tous ces films se construisent sur des questionnements qui vont bien au-delà du cinéma. Et si les auteur·es prennent la parole et se mêlent de politique et d’idéologie – mouvements sociaux violemment réprimés, dévastations colonialistes, désespérante violence, mémoire fragile – ils et elles engagent leurs voix pour me parler à moi, dans l’urgence. Oui il s’agit d’un cinéma réflexif mais pas celui qui se reflète dans un miroir et regarde sa propre image, non, ces films invitent tous à une réflexion. Parce que rien n’est donné au départ, la forme filmique se cherche et explore des chemins avec exigence et sans concession.
Toute évidence est remise en cause. Filme particular en est un exercice étonnant. À partir d’une pellicule récupérée – un film familial sans parole tourné en Afrique du Sud – la cinéaste développe ses recherches et ses questionnements pour dénoncer le colonialisme et le racisme : toute image se reflète dans son contraire. Dans cette confrontation, l’idéologie raciste dominante saute aux yeux, sans besoin de commentaires. La colonisation est également le sujet du film d’Ignacio Agüero, Notas para una película : dans un jeu cinématographique où se brouillent l’espace, le temps, les personnages et les acteurs et où cohabitent les langues, les peuples mapuche dénoncent les actes colonisateurs ainsi que la destruction de leurs terres et organisent leurs luttes. Contrairement à celui des frères Lumière, le train n’entre pas en gare. Un autre train reste abandonné, au milieu de ruines, dans Bajo un sol poderoso : film métaphore d’un pays en panne, Cuba. Le va-et-vient permanent entre les doutes du cinéaste et les images de La Havane accompagne des bribes de films inachevés. Face aux détresses, que peut le cinéma ? Le colombien Anhell69 pose la même question, hanté par d’autres errances et d’autres morts.
Les artistes engagent leur parole en voix off et leurs corps, se font personnages. Ils et elles défendent leur droit à la mémoire et à sa conservation. L’étonnant Herbaria postule une correspondance entre la disparition des espèces végétales et celle des pellicules filmiques. Et en appelle à l’urgence de leur conservation. Diana Bustamante (Nuestra película) révèle l’impact des images télévisuelles quotidiennes qui ont abreuvé les enfants colombiens pendant les années de conflit : elle crie sa douleur et le cinéma se fait cathartique.
Quand Mercedes Gaviria emprunte les chemins du film familial, avec des images d’archives personnelles (Como el cielo después de llover), elle questionne la figure du cinéaste latino-américain majeur Victor Gaviria (d’ailleurs cité comme une référence constructrice par Theo Montoya au détour de Anhell69). Elle partage sa quête et l’élargit : au-delà de l’artiste, quel père est-il ? Quel est le prix payé par ses proches ? Quelle est la conséquence de sa consécration artistique ? Quel homme est-il ?
Grâce aux images de Patricio Guzmán (Mon pays imaginaire) ou de Theo Montoya et Diana Bustamante, la révolte gronde ou murmure et me touche : elle m’implique.
Ces films ne peuvent se ranger dans les cases simples de fiction et documentaire, car ils sont les deux et se dessinent des partis pris bien au-delà des esthétiques, ceux des certitudes sans cesse questionnées.
Je me plais à croire que ce cinéma essai est un outil ou une arme, mais ne nous y trompons pas, il est récit, musique et poésie.
Marie-Françoise Govin